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Intervention d'Isabelle Constant, psychologue du Travail : ACTES DU COLLOQUE AVHMVP JUIN 2016 (5)

23 Août 2016

Intervention d'Isabelle Constant, psychologue du Travail : ACTES DU COLLOQUE AVHMVP JUIN 2016 (5)

Approche psychosociale du harcèlement moral au travail

Par Isabelle Constant, psychologue du travail

http://isabelleconstantpsychologuedutravail.e-monsite.com/

Bénévole de l'association, elle anime les groupes de ^parole dediés aux victimes à NANTES.

Psychosociale signifie à la confluence du psychologique et du social d’une personne dans son environnement ici l’organisation du travail.

La raison du plus fort est-elle toujours la meilleure ?

Le harcèlement moral au travail, c’est quoi ?

Pour la loi c’est un délit

Pour la loi (Article L.1152-1 du Code du travail né de la loi du 17 janvier 2002)

« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

Pour moi

Agissements répétés qui déstabilisent une personne et/ou portent atteinte à son intégrité physique, psychique et/ou nuisent à sa relation au travail

Pratique individuelle ou collective

Pour la personne harcelée

Une tragédie qui se joue

sur plusieurs registres

  1. Empêcher la victime de s’exprimer

En l’interrompant en permanence, en l’ignorant la personne ou en l’isolant physiquement en lui donnant un bureau inaccessible

  1. Déconsidérer la victime auprès de ses collègues

En lançant des rumeurs à son sujet, en la ridiculisant en public, en contestant toutes ses décisions, voire en la qualifiant de malade mentale

  1. Discréditer la victime dans son travail

En ne lui confiant plus de travail, en l’obligeant à effectuer des tâches inutiles, en lui confiant des missions très inférieures à ses compétences ou inversement

en plusieurs actes

  1. au commencement, rien de grave
  2. puis, ça se complique
  3. vient ensuite le temps du basculement où la déstabilisation s’intensifie et où la personne harcelée finit par se sentir en faute

Conséquences sur la personne harcelée sur plusieurs champs physique, psychique, sociale et professionnelle : mauvais sommeil, épuisement, addiction, état de stress en permanence, perte de confiance en soi, isolement, difficulté de concentration…

Pourquoi est-ce qu’on en arrive là ?

Les croyances ont la dent dure

  • Si on pense que pour être légitime il faut faire peur ou pour être reconnu au travail il faut être parfait ou être le meilleur ou qu’au travail il faut souffrir

Ces croyances peuvent être toxiques.

Imaginons que pour moi, au travail je dois être parfaite et que le dernier rapport que j’ai écrit est moins précis que d’habitude.

Imaginons que cela fait plusieurs mois que je ne reçois plus tous les documents et informations nécessaires à sa rédaction, que je ne suis plus conviée aux réunions pour lesquelles on me demande de continuer à rédiger ledit rapport et qu’on me confie de nouveaux dossiers augmentant ma charge de travail sans tenir compte de celle que j’ai déjà et qui remplit toutes mes plages horaires.

Il est normal qu’il soit moins parfait, même en venant plus tôt, même en finissant plus tard, même en amenant du travail à la maison ce qui me rend moins disponible pour ma famille, mes amis et mes loisirs.

Au début, je ne suis pas réellement consciente de ce qui se passe. Je suis sûre et croit y arriver. Mais je me fatigue, m’épuise et finis par ne plus avoir de recul sur la situation de travail que je vis. Je finis aussi par culpabiliser et perdre confiance en mes capacités professionnelles…

De plus, la personne harcelée peut être peu soutenue

Pour quelles raisons ?

  • La peur : les témoins peuvent avoir peur qu’intervenir se retourne contre eux
  • Le silence de la personne harcelée : si elle ne demande pas d’aide, c’est qu’elle a sûrement quelque chose à se reprocher
    • Il s’agit de l’illustration d’un monde qui serait juste (Lerner) dans lequel chacun reçoit ce qu’il mérite et mérite ce qu’il reçoit. Schématiquement : un monde imaginaire auquel croit le collectif
  • Le changement de comportement de la personne harcelée : la situation s’aggravant, elle est soit de plus en plus irritable, soit de plus en plus hermétique et/ou encore fait moins bien son travail… Ce qui donne du grain à moudre pour le harceleur : la boucle est bouclée
  • Or pour chacun de nous, il est important qu’acte et opinion s’accordent. Il est aussi plus honorable que nos actes et opinions s’accordent parce que chacun reçoit ce qu’il mérite que parce que nous avons peur. Il s’agit d’une stratégie de défense cognitive généralement non consciente. C’est ainsi que les témoins rationnalisent et conservent une congruence cognitive : l’acte de ne pas venir en aide ou défendre la personne harcelée est conforme à l’idée que chacun mérite ce qu’il reçoit : la « preuve », la personne harcelée s’énerve facilement, a fait une erreur, s’enferme dans son bureau et on ne peut même plus lui parler…

On en arrive là aussi dans certains contextes liés à l’organisation du travail

Derrière la plainte de harcèlement, on retrouve très souvent :

  • L’insécurité de l’emploi
    • Embauche pour une courte durée
    • Réorganisations d’entreprises avec « plans sociaux » de licenciements à éviter
    • Délocalisations géographiques
  • Les réorganisations de tâches, restructurations d’équipes de travail
  • Un environnement psychosocial stressant : une forte contrainte temporelle, une faible autonomie au travail, de mauvaises relations
  • Des contacts avec des clients ou du public
    • des professions sont susceptibles d’être concernées par cette situation : policiers, infirmiers, guichetiers…
  • Un environnement physique de travail pathogène comme la présence de fortes nuisances thermiques, sonores, le risque de chute…
  • La monotonie au travail

On peut donc agir

Sur les causes

On peut aussi

  • Vérifier que l’organisation ne génère pas de conflits d’intérêts ou de demandes contradictoires
  • Inscrire une procédure d’intervention visible et connue de tous au document unique des risques professionnels
    • Ce document est un document obligatoire qui regroupe tous les risques professionnels qu’ils soient physiques ou psychiques
  • Sensibiliser des acteurs de la santé (RH, CHSCT,…) au harcèlement moral
  • Former à la gestion de conflits
  • Avoir une équipe d’intervenants externes pour garantir dans certain contexte une neutralité
  • Ouvrir des espaces de discussion sur le travail

Soit même, chacun peut être en vigilance sur ses croyances (par exemple, c’est quoi être parfait au travail dans le poste que j’occupe, dans les activités liées à ma fiche de poste, ai-je les moyens nécessaires à la réalisation des tâches confiées…), savoir s’entourer, veiller au comportement de ses collègues (mon collègue a les traits tirés, son humeur a changé, il reste plus longtemps le soir, il fait des erreurs qu’il ne faisait pas avant…) et lui faire savoir qu’il a un soutien (lui dire bonjour, l’inviter à déjeuner, lui propose de l’aide…).

Pour conclure

La raison du plus fort est la meilleure si cette raison du plus fort est celle de l’intelligence collective et de la responsabilité individuelle et que cette raison est au service du mieux vivre ensemble au travail.

Bibliographie

CHAPERON AF, LITZER B., ALOUF ME, Harcèlement moral au travail, « Comprendre et se défendre », Odile Jacob, 2014

Sous la direction de DEJOURS C., Conjurer la violence, « Travail, violence et santé », Petite Bibliothèque Payot, 2012

DEJOURS C., GERNET I., Psychopathologie du travail, Les âges de la vie, 2013

DE VIGAN D., les Heures souterraines, Le Livre de Poche, 2011

POIROT M., Les situations difficiles au travail, Elsevier-Masson, 2013

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